une école pleine de livres

L’école doit-elle préparer au marché du travail ?

CONTRE

Selon Philippe Meirieu, spécialiste de l’éducation, « le premier problème de l’école n’est pas le manque de préparation des élèves au monde du travail, mais la répétition des inégalités socio-économiques. »

Il est également vice-président de la région Rhône-Alpes et chargé de la formation tout au long de la vie. Il en fait le constat au quotidien : « Les chômeurs de longue durée manquent de formation générale, qui est insuffisante, et non de formation professionnelle. Avant tout, la maîtrise de la langue et des opérations mathématiques fondamentales sont des conditions d’entrée sur le marché du travail, souligne-t-il.

Philippe Meirieu affirme qu’il serait « contre-productif du point de vue de l’intégration, mais aussi de manquer à la responsabilité d’éducation que nous devons à tous » de privilégier la professionnalisation, au besoin en se tournant vers l’alternance dès le plus jeune âge.

Il poursuit en affirmant que ce serait « un recul de la formation générale, de la citoyenneté et de la créativité, d’autant plus destructeur que la jeunesse d’aujourd’hui est soumise à un matraquage de slogans et de phrases simples. » Le pédagogue souligne toutefois que cette éducation universelle doit « exposer tous les élèves à la richesse des vocations. »

François Cocq, secrétaire national du Parti de gauche et chargé de l’éducation, affirme que « la future vie professionnelle doit bien sûr faire partie du programme scolaire. » Mais il ajoute que l’institution doit œuvrer à un triple objectif : émancipation, qualification et éducation. Il affirme que si l’école cède à l' »adéquationnisme », qui consiste à enseigner aux élèves les compétences dont les entreprises ont immédiatement besoin, nous produirons « des individus formatés, une main-d’œuvre corvéable et soumise. »

POUR

Le ministre de l’Éducation cite une statistique stupéfiante pour appuyer sa volonté de rapprocher l’école du monde du travail : bien que le nombre de chômeurs ait dépassé les trois millions, il reste 600 000 postes à pourvoir en cdi, car les liens entre la formation et les demandes du marché du travail sont insuffisants.

Le directeur du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq), Alberto Lopez, constate qu’après trois ans d’emploi, « seule une personne sur cinq exerce une profession correspondant au diplôme et à la spécialisation de ses études. » Et pour cause : Selon l’étude, « de nombreux jeunes ont été orientés très tôt, contre leur choix, ou du moins sans qu’on leur ait proposé le spectre des emplois et des formations. »

Préparer les élèves à leur future entrée dans la vie active doit être « un des objectifs, explicitement assumé, de l’école », affirme François Portzer, président du Syndicat national des écoles et collèges significatifs, dans un pays où le chômage est élevé (Snalc).

Ce syndicaliste, comme Vincent Peillon, estime que l’enseignement d’exploration de troisième, qui durera une semaine, est insuffisant. Le ministre veut développer « de véritables enseignements d’information et d’orientation pour faire découvrir aux élèves les entreprises et les métiers dès la sixième », mais il veut aussi donner la possibilité aux élèves qui le souhaitent de passer quelques semaines en entreprise pendant leur année de terminale.

Un autre débat, beaucoup plus délicat, sur l’avenir du collège unique, se cache en arrière-plan de celui-ci. Selon François Portzer, « il faudrait au moins proposer des cours variés, permettre aux jeunes de comprendre ce qu’est l’enseignement professionnel en visitant des lycées « professionnels », si nécessaire, afin qu’il ne soit plus considéré comme une voie de relégation. »

Selon lui, l’école doit être plus accessible au monde du travail car, jusqu’à présent, elle avait tendance à donner une mauvaise image des entreprises, ce qui nuit à la capacité des jeunes à s’intégrer dans le monde du travail. Afin que leur enseignement, notamment en économie et en gestion, reflète les changements de la réalité économique, il soutient que beaucoup plus d’enseignants doivent faire des stages en entreprise.

Comment considérer l’école ?

Malheureusement, les données actuelles indiquent que l’éducation ne parvient pas à préparer efficacement les jeunes à réussir sur le marché du travail dans de nombreux pays, ce qui entraîne les problèmes paradoxaux d’une pénurie généralisée de compétences et de taux élevés de chômage des jeunes. Étant donné que les travailleurs occupant des emplois mal adaptés à leurs compétences ont des effets négatifs tant sur les individus que sur les économies, cette inadéquation des compétences est une véritable préoccupation pour de nombreuses économies.

De nombreux diplômés de l’enseignement supérieur sont employés à des postes pour lesquels un diplôme n’est pas nécessaire, et leurs talents universitaires ne sont pas pleinement utilisés. En raison de la baisse de productivité et de la faible satisfaction au travail qu’entraîne cette surqualification, elle est préjudiciable tant au bien-être des employés qu’aux intérêts des entreprises. Les diplômés surqualifiés qui occupent des fonctions non diplômées ont un impact sur les groupes de la société moins instruits et moins compétents, qui sont ensuite incapables de trouver un emploi correspondant à leur niveau de compétences.

En raison du problème de l’inadéquation des compétences, les gouvernements et les établissements d’enseignement du monde entier donnent la priorité à l’implication des entreprises dans la politique éducative. Les jeunes sont plus nombreux que jamais à entrer sur le marché du travail avec davantage de connaissances et de qualifications, mais ils éprouvent des difficultés considérables à décrocher les emplois qu’ils désirent (ou auxquels ils pensent avoir droit). Les gouvernements doivent promouvoir des initiatives qui intègrent les domaines de l’éducation et de l’emploi. Une collaboration accrue entre les éducateurs et les employeurs permettra de mieux préparer les jeunes aux métiers modernes et de faciliter leur passage de l’école au monde du travail. Les recherches menées par le groupe de travail britannique sur l’éducation et les employeurs démontrent qu’une orientation professionnelle efficace pour le marché du travail actuel/futur, des conseils pratiques sur la façon de rédiger un CV, de postuler à un emploi et la pratique des entretiens sont des éléments clés des politiques scolaires qui préparent avec succès les étudiants à la vie active.

Une meilleure connaissance du calibre des universités peut aider les pays en développement à lutter contre la suréducation et l’inadéquation des compétences. Dans un récent article pour IZA World of Labor, l’auteur soutient que, en particulier dans les pays émergents dont les marchés de l’emploi sont moroses, l’augmentation rapide du nombre de diplômés universitaires peut être à l’origine du déficit de compétences. « Les politiques devraient se concentrer sur la collecte et la transmission d’informations sur l’employabilité par carrière et par institution », affirme l’auteur, ajoutant que « l’augmentation du nombre de diplômés universitaires pourrait aggraver le chômage, le sous-emploi et la surqualification des professionnels. » Cela permettra de s’assurer que les jeunes, avant de poursuivre un cursus universitaire, sont conscients des bénéfices attendus de leur investissement dans l’enseignement supérieur.

Réduire le temps que les enfants passent dans l’enseignement secondaire est un autre moyen d’accroître la main-d’œuvre qualifiée, ce qui peut prévenir la suréducation et l’inadéquation des compétences. La réduction de la durée de l’enseignement secondaire peut accroître la viabilité des systèmes fiscaux et de sécurité sociale en permettant aux gens de travailler plus longtemps. Grâce à la transmission des connaissances d’une génération à l’autre, elle peut également contribuer à remédier à la pénurie croissante de personnes qualifiées. La réduction de la durée des études secondaires présente le double avantage de réduire les pénuries de compétences et d’accroître la main-d’œuvre qualifiée dans les sociétés vieillissantes, ce qui suggère qu’il pourrait s’agir d’une option politique souhaitable pour résoudre les problèmes à l’avenir. Les décideurs politiques doivent prendre des décisions difficiles pour s’assurer que les systèmes éducatifs d’aujourd’hui ne laissent pas tomber les travailleurs de demain, même si des mesures comme celles-ci peuvent sembler litigieuses et ne pas plaire aux parents qui souhaitent la meilleure éducation possible pour leurs enfants.

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